La « Semoy »

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Bouillon

« La Semoy, noire sur son lit de cailloux bavards, ses truites qualifiables vraiment de surnaturelles et son « château », son burg plutôt, taillé en plein granit parmi des bois sans fin, croirait-on; ses rampes rapides où dégringolaient, versant parfois, les malles-poste venant de Sedan.

Son collège en contre-bas, (ce passé le pont unique), un peu sur une colline, sa caserne aux soldats jaunes et verts, actuellement, je pense, école de sous-officiers, entre l’Hôtel de la Poste, tenu à cette époque de mon enfance jusqu’après guerre de 1870 par le père Cheydron, qui eut le destin de recevoir dans sa salle à manger et dans ses chambres l’empereur Napoléon III conduit prisonnier en Allemagne et son état-major des deux nations…

Le curé avait un bien beau verger où d’innombrables fruits, poires, pommes, noix, raisins et, en été, fraises, cerises, prunes, abricots étaient très bons…et très courus. Mais les truites de la Semoy! Les truites! Que la révérence m’empêchera, cette fois, de qualifier de divines, mais qu’un respect attendri non moins que rétrospectif et qu’une reconnaissance un peu profane, peut-être, dans le cas, ne m’empêchera, mordieu pas! De magnifier de cléricales, les truites de la Semoy, dignifiables même saumonées, consommées en toute dilection, en compagnie des bons collègues de ce bon curé, ô les truites de la Semoy!..
Bouillon est horriblement pavée dans ses endroits pavés. On dirait, ma parole, des galets, bien qu’on soit ici à je ne sais combien de lieues de la mer. Petites maisons en pierres d’ardoise inégales, couvertes d’ardoises aussi, rues où conduire une voiture, au plus, avec prudence, où une rencontre de voitures est tout de suite un encombrement, à moins, pour l’un des véhicules, de monter sur le trottoir, très bas, il est vrai. »

Extraits de Croquis de Belgique.

dessin de Verlaine 001
Autoportrait

L’Heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S’endort fumeuse, et la grenouille crielune_rouge
Par les joncs verts où circule un frisson;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leurs spectres incertains;
Vers les buissons errent les lucioles;

Les chats-huants s’éveillent, et sans bruit
Rament l’air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s’emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c’est la Nuit.

Extrait des Poèmes Saturniens.