L’étang noir

L’étang noir.

A côté des eaux vives, Verlaine aimait l’eau dormante. Au cours d’une Promenade sentimentale, il exprime sa mélancolie – et plus généralement celle de l’existence -, avec le temps dilué dans les eaux mortes.
Pourtant, l’eau au repos n’est pas complètement figée, immobile; elle semble vouloir perpétuer une présence.
Grâce à la magie de la transparence, les profondes eaux cristallines procurent des sensations et des images de la minéralité, d’autant que la roche est partout visible en Ardenne; l’eau de la rivière apparaît de temps en temps mercurielle.
L’étang noir se situe plus que probablement sur l’entité de Paliseul, le long de la route vers Sart, près du fameux Bois Solmon.
L’étang permet un jeu de miroir au naturel. Il capte un instant très précis et le reflète, si brièvement soit-il, sous la forme d’une image – même éphémère – qui survit dans le temps. Et le poète n’a de cesse de demander aux miroirs leurs secrets!

Extrait du livre Verlaine et l’Ardenne de Danielle Chanteux-Van Gottom.

 

Dans les bois

D’autres, – des innocents ou bien des lymphatiques -,
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux!P1000158
D’autres s’y sentent pris – rêveurs – d’effrois mystiques.

Ils sont heureux! Pour moi, nerveux, et qu’un remords
Épouvantable et vague affole sans relâche,
Par les forêts je tremble à la façon d’un lâche
Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.

Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l’onde,
D’où tombe un noir silence avec une ombre encore
Plus noire, tout ce morne et sinistre décor
Me remplit d’une horreur triviale et profonde.

Surtout les soirs d’été: la rougeur du couchant
Se fond dans le gris bleu des brumes qu’elle teinte
D’incendie et de sang; et l’angélus qui tinte
Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.

Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe
Et repasse, toujours plus fort, dans l’épaisseur
Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur,
Et s’éparpille, ainsi qu’un miasme, dans l’espace.

La nuit vient. Le hibou s’envole; C’est l’instant
Où l’on songe aux récits des aïeules naïves…
Sous un fourré, là-bas, des sources vives
Font un bruit d’assassins postés se concertant.

Extrait des Poèmes saturniens.

 

 

 

 

La Lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque brancheluneblanche
Part une voix
Sous la ramée…

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…

Rêvons, c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble monter
Du firmament
Que l’astre irise…

C’est l’heure exquise.

Extrait de La Bonne Chanson.

 

 

Promenade sentimentale

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes;
Les grands nénuphars entre les roseaux
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux.
Extrait de Poème Saturniens.