Édito

À propos

FRACTURE NUMÉRIQUE : EN RÉÉDUCATION PERMANENTE

Plus de 50 %, c’est la proportion hallucinante de la population belge touchée par la fracture numérique1. Et pourtant, dit comme cela, peu de gens savent de quoi on parle. L’appellation même fait débat, certains préférant parler d’inclusion, d’autres encore d’inégalités. Alors, pour commencer, faisons simple, et partons d’une première définition :

La fracture numérique peut se définir en 3 degrés : le premier concerne la partie de la population qui n’a pas accès au matériel informatique ; le deuxième concerne celle qui n’a pas accès aux compétences informatiques minimales ; le troisième, enfin, est celui qui caractérise les inégalités sociales nées des deux premiers degrés.

De ce constat, il s’agit de tirer une première conclusion : le phénomène est on ne peut plus actuel et de très grande ampleur, en même temps qu’il est peu connu. Il s’agit donc dans un premier temps de le souligner, en même temps que de rappeler l’importance de la lutte contre ce phénomène, par ailleurs de plus en plus excluant ; inutile de rappeler la situation actuelle qui a accéléré, massivement et à tous les étages, les mouvements de numérisation de la société. Une telle situation est évidemment à articuler à la volonté politique d’aller plus avant vers la digitalisation des services publics et de leurs accès2.

Et les choses se compliquent ici, à plusieurs égards.

Premièrement, les pouvoirs publics ont pris conscience de l’existence du phénomène et de l’importance de lutter contre ses différents aspects comme décrits plus haut. Toutefois, pressés par la crise actuelle, ils en sont revenus à une lutte axée principalement sur le premier degré, à travers des investissements massifs dans l’achat de matériel. Dans ce sens, c’est comme si l’on espérait apprendre l’écriture à quelqu’un en lui achetant simplement un stylo et un cahier. Il faut donc réaffirmer l’importance de lutter contre le phénomène dans son ensemble, et ne pas désarticuler le volet de l’achat du matériel à celui des formations, ni, presque pire encore, confier ce second volet aux sociétés auprès desquelles on a acheté les solutions, fonctionnement dont les limites ont déjà été posées3.

Deuxièmement, penser la résorption de la fracture numérique à travers ces deux degrés ne suffit pas. En effet, l’appréhender de cette manière reviendrait à accepter de facto, sans jamais l’interroger les modalités de la numérisation de la société. Or, si nous souhaitons maintenir les fondements de notre démocratie, il s’agit aussi de faire entrer le numérique dans le débat public, et ce, dans toutes ses composantes.

Développer nos compétences minimales fera de nous des utilisateurs plus ou moins avertis des solutions pensées par d’autres. Cela nous permettra, à l’occasion, de pouvoir donner notre avis sur l’ergonomie de telle application de tel service numérisé. Mais, en aucun cas, cela ne nous permettra de nous positionner en tant que citoyen face à la numérisation de nos institutions. En effet, les politiques de consultation publique actuelle ne demandent jamais aux citoyens de rendre un avis sur la pertinence de la numérisation de l’un ou l’autre service, ni sur les modalités éventuelles de celle-ci. D’un autre côté, les usagers de ces solutions ne revendiquent rien de tel non plus. Pour envisager d’y remédier, il est nécessaire de développer la culture numérique au sens large. Pour défendre nos droits actuels, et créer ceux à venir dans une société en extrême mutation, le développement d’une telle culture est devenue essentielle. Il s’agit donc de promouvoir le développement des compétences critiques, en plus de celles minimales. Pour cela, il faut que les politiques de formations intègrent ce volet culturel dès à présent dans leur programmation.

C’est pourquoi, en plus des paroles d’experts (interviews vidéo de Périne Brotcorne, et de Lauriane Paulhiac et Eric Blanchart) et de nos publics (à travers les podcasts réalisés par nos régionales de La Louvière et de Bruxelles), nous présentons ici deux articles qui réinterrogent la place du secteur de l’éducation permanente à ce sujet : Inclusion numérique : le secteur associatif a un rôle politique critique à jouer, de Jean-Luc Manise, et L’éducation permanente dans la crise sanitaire : quelle évaluation de sa relation au « numérique » ?, de Jean Blairon et qui fait suite aux ateliers organisés en partenariat avec la Fesefa, le Librex et le collectif PUNCH4 où nous avons voulu que les travailleurs et travailleuses du secteur de l’éducation permanente échangent sur la question numérique, sur leurs pratiques, leurs ambitions, et éventuellement leurs réinventions dans le cadre des luttes actuelles et à venir.

1Le baromètre 2020 de l’inclusion numérique avance le chiffre de 40 % de la population touchée par la fracture numérique, sans tenir compte des plus de 77 ans.

2 Comme le gouvernement fédéral l’a exprimé dans sa première déclaration, le 1er octobre 2020

3V. campagne 2020 : « Télétravail : entrée libre » : gsara.tv/teletravailler

4Collectif PUNCH, pour ‘Pour un numérique critique et humain’ (PointCulture, Culture & Démocratie, ACMJ, La Concertation, La Maison du Livre, le Centre Librex, Cfs.EP, Cesep, Gsara)